Voilà, après neuf mois d'attente, d'excitation, d'appréhension, notre bébé Gustave (nom de code) avait enfin pointé le petit bout de son nez. C'était le plus beau du monde, bien évidemment. Nous aurions pu passer des heures en salle de travail à le contempler dans son joli ensemble de naissance, mais il était temps que je dégage la piste pour laisser la place aux copines et que je remonte en chambre. Mon lit médicalisé me sembla d'ailleurs bien plus accueillant que quelques heures auparavant : je l'avais quitté presque au bout de ma vie, je le retrouvai guillerette et emplie de fierté.
Il était treize heures. A notre arrivée nous attendaient deux plateaux repas bien garnis. Alors, oui, c'était de la tambouille de clinique qui ne cassait pas trois pattes à un canard, mais pour moi, pauvrine qui avait subi des restrictions alimentaires pendant neuf mois, c'était juste royal.
Je pensais qu'une fois le petitou arrivé, les jours qui suivraient me permettraient d'avoir un peu de répit avant de regagner mon domicile. Il faut dire que c'était la première fois que je découchais en milieu hospitalier. Et bien, qu'on se le dise : quand on accouche, la chambre, c'est un hall de gare. Du genre Montparnasse la veille de l'Ascension. Je pense avoir fait connaissance avec à peu près tous les corps de métiers de la clinique : la puéricultrice (chouette femme, très pédagogue), l'auxiliaire de puériculture (moins chouette, elle me houspillait parce que j'oubliais de réveiller bébé pour la tétée nocturne), le pédiatre, les infirmières (joie et bonheur de se faire arracher du sommeil à 7 heures pour une prise de sang), les aides-soignantes (adorables), les femmes de ménage et le service de restauration (béni soit-il).
Bref, la tranquillité est un concept qu'il faut savoir laisser à l'entrée de l'établissement. Et bien évidemment, c'est toujours quand vous êtes à la salle de bain, fort peu décente, à tenter de prendre une douche express parce que bébé a enfin fermé ses jolies mirettes que quelqu'un radine sans prévenir. "Prenez votre temps" qu'ils vous disent... Au début on sourit poliment, au bout de trois jours, c'est juste usant et pénible. Dieu merci, avec le Covid les visites étaient interdites : je n'ose imaginer combien ça doit être casse-pieds de devoir tenir le crachoir aux indésirables venus bisouiller le petit quand on est sur les rotules et qu'on se prend les suites de couches dans la tronche.
Sachez-le Mesdames : quand on vous expose une Kate Middleton souriante, rayonnante et absolument parfaite (comme toujours, d'ailleurs) sur le parvis du St Mary's Hospital à la présentation du Prince Georges au grand public, on vous MENT. Pour nous, pauvres prolétaires, le programme fait moins rêver. Adieu glamour, bonjour corps en charpie. Bidou flasque, siège endolori (foutu périnée) et port de doubles protections au format improbable suffisent à mettre à mal tout l'amour propre qui nous restait éventuellement jusque-là.
Et puis il y a bébé. Objet de toute les attentions du corps médical, il doit, à peine arrivé dans notre vaste monde, subir toute une batterie d'examens pour son check-up général. Test d'audition, dépistage de la jaunisse, prise de température régulière, dextros pour mesurer sa glycémie (en cas de diabète gestationnel), test de la vision, prise de sang pour le dépistage de cinq pathologies aux noms imprononçables... Moi, je souffrais en silence de le voir être malmené de la sorte.
Quand il ne se faisait pas manipuler dans tous les sens, je devais bien entendu m'en occuper, de ce bébé, cet être minuscule qui ne savait rien faire à part pioncer, manger et souiller sa couche. Pour être honnête, les premières heures, j'étais complètement sonnée, dépourvue d'énergie et par conséquent absolument incapable de le tenir, alors c'est mon Jules chéri qui s'est collé aux premiers changes. Il était de toute façon moins bon à rien que moi pour être déjà passé par là, même si c'était treize ans plus tôt.
Je n'ai pourtant pu fuir mes responsabilité bien longtemps et c'est en sursaut que je me suis réveillée lorsque le petit a commencé à s'époumoner dans la nuit. J'ai dû rebrancher les neurones pour déterminer ce qui clochait : estomac vide ? postérieur humide ? trop chaud ? trop froid ? Une fois ces différents paramètres vérifiés, on peut EN PRINCIPE espérer être à peu près tranquille. C'est maladroite et gauche que j'ai changé la première couche de mon fiston. Heureusement, on prend vite le pli.
Le deuxième soir, Jules est rentré à la maison et j'ai passé ma première nuit toute seule. Sans surprise, j'ai fort peu dormi. Mais je me suis pas trop mal dépatouillée pour gérer l'enfant, et j'étais plutôt contente de moi. Oh, il a bien pleuré un peu, pourtant je suis parvenue à l'apaiser en poussant la chansonnette. Le premier air qui m'est venu à l'esprit, c'est le refrain d'Au café des délices de Bruel. Je me suis dit qu'il avait tellement dû l'entendre depuis le dedans de mon ventre que ça ne pouvait pas faire de mal (d'ailleurs, pour l'anecdote, j'étais enceinte de deux jours quand je suis allée le voir à Biarritz). Ca a si bien fonctionné que "Yalil yalil habibi yalil", c'est sa berceuse pour l'endormir maintenant (Patrick, si tu me lis, MERCI, tu sauves mes jours et mes nuits). J'étais si fière. Dans l'ensemble, je dois dire que je trouvais le petit plutôt calme et paisible, et je me surprenais à plutôt bien supporter le son de ses pleurs. Si, si.
La troisième nuit, ce fut BEYROUTH. Pour une obscure raison, le gosse refusait de dormir et pleurait sans discontinuer. Il avait l'air de demander à manger en permanence, alors j'ai enchaîné les tétées pour qu'il me fiche la paix. Rien à faire, au bout de trois minutes dans son lit, rebelote. A quatre heures du matin, en larmes, j'ai appelé l'auxiliaire de puériculture pour qu'elle vienne à ma rescousse, impuissante que j'étais à calmer ma progéniture. Elle a débarqué, pas alarmée pour un sou :
"Ah oui, c'est normal, c'est la nuit de la java, la troisième nuit de bébé. Il dort pas, pleure beaucoup et réclame à becqueter. Ca va passer, ils font tous ça."
Non mais sérieusement, ça aurait été sympa de me prévenir. Bon, il convient je crois de rétablir la vérité : ma sage-femme m'en avait vaguement causé lors des cours de prépa' à l'accouchement mais l'information était passée à la trappe depuis. Information qui ne m'a certes pas aidée à calmer l'enfant, par contre j'ai arrêté d'imaginer qu'un truc ne tournait pas rond avec lui. Le coquin a fini par s'endormir à huit heures du mat', pile au moment où les allées et venues ont repris. J'ai vérifié rapidement mon apparence dans le miroir : après une semaine de nuits presque blanches, je pouvais désormais prétendre à jouer les figurantes dans The Walking Dead sans maquillage préalable.
La durée de mon séjour à la clinique était conditionnée à une reprise de poids du bout de chou (les bébés perdent toujours un peu de poids après la naissance), qui était en l'occurrence plutôt correcte. Un vieux pédiatre moustachu qui appelait les bébés "les pitchounes" est passé pour confirmer que nous pouvions rentrer à la maison.
Enfin. J'allais pouvoir reprivatiser la partie inférieure de mon corps. Dire qu'à l'époque de nos Mamans, le séjour à la maternité durait une semaine... les pauvres. Jules est venu me chercher vers midi. Après avoir géré les formalités de sortie de l'établissement, nous avons installé notre chef-d'œuvre dans son cosy à l'arrière de la voiture. Emmitouflé dans sa couverture et la tête dissimulée dans son bonnet, il ne bronchait pas.
Moi, en revanche, je commençais à sévèrement baliser. Vous vous souvenez de mon saut en parachute ? Et bien là, j'étais à peu près aussi peu sereine, sauf qu'en guise de parachute, je n'avais qu'un minable petit livret d'accompagnement au retour à la maison, bourré d'infos anxiogènes. Si j'étais joie de retourner au bercail, j'étais terrifiée à l'idée que nous devions désormais assurer la survie d'un être vivant tous seuls comme des grands.
Et ce pendant (au moins) les dix-huit prochaines années. Aïe aïe aïe.
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