Biarritz : mission Patriiiick


J'ai le goût musical fort éclectique, forgé par des années d'influence parentale, de voyages, de rencontres multi-culturelles ou encore par la nostalgie des mes jeunes années. Les gens sont surpris par la variété de mon répertoire quand je chantonne pour le plaisir, passant sans complexe du fado portugais au sega mauricien, avec des détours vers le traditionnel béarnais, la comédie musicale britannique ou, tout simplement, notre bonne vieille variété francophone. Que voulez-vous, ma curiosité est sans limite. 

On se moque de moi, parfois, souvent, de la soit-disant inadéquation entre les passions susmentionnées et mon image de trentenaire active. Par conséquent, lorsque j'ai commencé à fredonner le refrain de Place des grands hommes en oblitérant le courrier au bureau, c'est tout naturellement que ma collègue m'a sorti un très désespéré : 

"Ah non Paupau, PAS PATRICK !!!" 

A ma décharge, si j'arrive un peu après la fumée des cierges pour la Bruel-mania, c'est que quand l'album Alors regarde est sorti, je n'étais qu'un innocent poupon tout fraîchement sorti de la maternité.

Donc, oui. Patrick Bruel.

Que celle qui n'a jamais souri béatement en entendant le beau brun susurrer qu'il vous dit quand même "Je t'aime" tout en gratouillant sa guitare me jette la première pierre. 

"Mais il a l'âge d'être ton père !!"  

Ne vous en déplaise, Harrison Ford a l'âge d'être mon papi et il est tout charmant quand même.

Mais attention : il serait tout de même fort réducteur de limiter Monsieur Bruel à son regard de séducteur. C'est ce que j'ai commencé à comprendre pendant le confinement, premier du nom, en découvrant une reprise de Combien de murs chantée lors d'un concert des Enfoirés. Le morceau, qui cause de la chute du mur de Berlin, m'avait fortement émue et incitée à m'intéresser de plus près à l'artiste. Un reportage consacré à sa carrière m'obligea à admettre l'évidence : oui, Patrick a des choses à raconter, et non, sa discographie n'a pas pour unique vocation à faire frémir la jouvencelle. 

Mon Jules a scellé mon destin de fan en m'offrant pour la St Valentin le coffret CD + DVD de son dernier concert (ça et un hamster inutile, rappelez-vous). J'y ai vu là une approbation de sa part concernant ma nouvelle lubie, jusqu'à ce qu'il me surprenne en train de chanter à tue-tête "Yalil yalil habibi yalil, aux cafés des déliiiiices" en épluchant mes légumes et qu'il regrette aussitôt son geste.

Ma Bruelite aïgue atteint son paroxysme un soir d'octobre, quand mon idole du moment vint poser sa guitare et son piano sur le sol basque pour un concert acoustique. L'ambiance se voulait intime et conviviale, aussi le spectacle avait-il lieu dans la petite salle de la Gare du Midi, à Biarritz. Un joyeux prétexte pour une excursion sur la côte entre nanas.

Le jour J, sans grande surprise, j'étais intenable. J'ai essayé de convaincre mon Jules que c'était la joie de découvrir Biarritz qui me mettait dans un pareil état, mais vous pensez bien que ma sincérité fut fortement remise en question.

Nous avions loué une chambre d'Air BnB face à la mer et profité du coucher de soleil le temps d'un apéro à la San Pellegrino (pas besoin de pinard, nous étions déjà bien assez euphoriques), d'une quiche maison et de cookies-de-la-mort-qui-tue de M. Laurent à Pau (je ne désespère pas de vous sortir un jour un article sur les bonnes pâtisseries du coin). Vint l'heure de nous rendre à la salle de spectacle, non sans avoir passé 45 minutes à nous pomponner, dès fois qu'on tombe sur Patoche au détour d'un couloir, SAIT-ON JAMAIS.

Arrivées à notre destination, nous nous sommes mêlées à la gigantesque concentration de pintades fans piétinant le trottoir en attendant l'autorisation de rentrer. Quelques mâles se tenaient par-ci, par-là, certains dépités, à l'évidence contraints et forcés par leur moitié. Mon homme à moi avait adopté une autre stratégie pour que je lui fiche la paix :

"Va t'amuser avec tes copines ma chérie, mais laisse moi en dehors de tout ça !!!"

Une fois nos places trouvées, nous avons échangé un peu avec nos voisines de sièges. Là c'était rigolo, parce qu'on essayait toutes de se justifier "Oui, je suis là, mais je sais me tenir, je ne suis pas une vraie fan en délire hein". TU PARLES. A peine l'intéressé eut-il posé un pied sur la scène que toute la salle est partie dans une hystérie collective. Applaudissements, sifflements, hurlements... ah, le bougre, il peut se targuer de savoir ambiancer une foule sans avoir à lever le petit doigt.

S'il a commencé le spectacle tout seul avec sa guitare et son piano, la partie instrumentale s'est étoffée au fur et à mesure que ses musiciens le rejoignaient sur scène, pour arriver à une ambiance absolument DINGUE, d'autant plus savourée que nous sortions de confinements et de restrictions Covid.

Quand il ne chantait pas, Bruel parlait un peu à son public. Pour nous remercier d'être là, bien sûr, mais pas que. En fait, il a carrément râlé parce que depuis la scène il voyait la lumière des portables de tout le monde s'allumer. "A moins qu'il ne s'agisse d'urgence familiale, vos messages peuvent peut-être attendre la fin du concert, non ?" Sinon, il a aussi demandé à un groupe d'hystériques de se calmer, parce qu'elles lui criaient des trucs pendant qu'il parlait. Du genre :

"Patriiiick viens faire un concert à Pau !!!!"
- Ben non, le Zénith de Pau ne correspond pas au format des spectacles de la tournée."
- Oui mais viens à Pauuuuuuuu !!!!
- Oui bah ça va on a compris, calme, calme, chuuuuuut.

Là tu sens bien que, même si la Bruel-mania et les groupies décérébrées c'est son gagne-pain, à 62 piges, ça peut lui courir légèrement sur le haricot. 

Niveau playlist, ce fut le pied total. Bien sûr, nous n'avons pas échappé aux incontournables tels que J'te l'dis quand même ou Qui a le droit, pour que tout le monde pousse la chansonnette. Ah ça pour chanter, nous avons chanté avec les filles... La nana devant nous a passé la plupart de son temps à filmer le concert, je pense qu'avec nos voix de crécelle, on lui a pourri toutes ses vidéos.

Nous étions un peu plus sages quand il s'agissait d'écouter religieusement des titres moins connus mais que j'étais ravie de découvrir, abordant des sujets plus sérieux comme celui de ces malheureux risquant leur vie pour fuir la guerre et rejoindre des terres moins hostiles (On partira), le cul-de-sac amoureux (Tout s'efface) ou la perte de son ami et spécialiste du droit constitutionnel Guy Carcassonne (Mon repère). Bon, comme il l'a admis lui-même, ça a un peu pété l'ambiance, mais le tout était plutôt bien équilibré, aussi ne sommes nous pas sorties de là complètement dépressives.

On a un peu voyagé, aussi, avec ce concert, des rythmes brésiliens de Décalé aux larmes des mères argentines de Nunca mas en passant par la chaleur tunisienne d'Au café des délices. Et on a dansé, BEAUCOUP dansé, tapé dans nos mains... et même fait des squats pendant l'interlude instrumentale de Stand Up, mon exutoire et hymne à la combativité quand j'ai pas envie d'aller au boulot le matin (et oui, ça arrive). Une ambiance festive qui s'est poursuivie jusqu'à la fin du concert, sur les airs de Bouge et Rock Haines Rôles, morceaux plus tout jeunes mais encore bigrement efficaces. Puis le spectacle s'est achevé, plus sobrement, par une interprétation a capella de la magnifique chanson de Barbara : Ma plus belle histoire d'amour.

Un bon gros kif quoi, comme ils disent les p'tits jeunes. J'avais des étoiles plein les yeux en quittant la salle, comme une gosse qu'on aurait emmenée à Disneyland. Point de photo avec Mickey de prévue, en revanche, après concertation, nous avons décidé de nous joindre au petit groupe entassé contre les barrières à attendre la sortie de Patrick. Au début, je n'assumais guère la chose.

"Mais non on va pas faire ça quand même, ça fait vraiment GROUPIE, c'est trop la honte."

Reprenons. On a hurlé "Patriiiiiick" comme des débiles, on a fait des selfies devant la PHOTO de Bruel dans le hall du théâtre, on s'est pété les cordes vocales sur Casser la voix... Un peu tard pour se préoccuper de notre dignité, en fait. Alors nous avons attendu, minute après minute. Nous avons vu le chauffeur passer, les équipes de techniciens passer, le garde-du-corps passer, des jolies blondes non-identifiées passer.

Trente minutes.

Le froid commençait à se faire sentir. La clémence de la météo de la journée m'avait fait oublier que la nuit, il faisait frisquet.

Nous avons commencé à émettre des hypothèses un peu potaches et franchement pas très distinguées sur ce qui pouvait bien lui prendre autant de temps, à Patoche. Il fallait bien nous occuper. Malheur à nous. Nous avons été FUSILLEES du regard par une quinqua', visiblement outrée qu'on ose dire pareilles sottises sur l'Homme, dont la photo occupait d'ailleurs son fond d'écran de téléphone portable (néanmoins qui suis-je pour juger, moi qui ai placardé un poster de Cristiano Ronaldo au dessus de mon plumard dans ma tendre adolescence...)

Quarante-cinq minutes.

Malgré toute l'affection que je lui portais, je commençais à me dire que ça ne valait peut-être pas le coup de chopper une pneumonie.

Et puis vers minuit trente, ENFIN, il est arrivé. Les gens se sont à peu près tenus et ont applaudi à son passage, lui nous a répondu merci, merci pour tout. Il avait l'air bien épuisé, il faut dire que ça doit en demander de l'énergie pour enchaîner les déplacements de ville en ville, les courtes nuits et les shows de deux heures. Arrivé près de la BMW qui le ramenait à son hôtel, il a salué tout le monde. Moi, oubliant la civilisation autour, tenez-vous bien, je suis carrément GRIMPEE sur une barrière en agitant le bras pour FAIRE COUCOU. Je vous jure.

Et Biarritz alors ? Je dois avouer qu'après toutes ces émotions, Biarritz, elle m'a semblée bien insignifiante. Le bord de mer est sympathique, un peu accidenté et très joli, mais niveau faune, ça sent un peu trop le fric et le botox pour moi. Nous avons passé un très bon moment toutefois, à longer la plage, marcher jusqu'au Rocher de la Vierge et profiter du soleil sur la terrasse d'un restaurant.

Alors, pour conclure, non, je n'aspire pas à être la fan la plus assidue de Bruel, mais j'apprécie l'artiste, ainsi que le bonhomme ou tout du moins, l'image qu'il veut bien nous en montrer à travers ses interventions sur scène ou sur les réseaux sociaux. En tous cas, s'il revient dans nos contrées pour une prochaine tournée, je dis oui sans hésiter. Et, qui sait, peut-être que cette fois, j'arriverais à entraîner Jules avec moi... 

Affaire à suivre.

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