De l'enfantement, je ne connaissais que ce que les médias voulaient bien nous montrer. J'avais ainsi en tête l'image de Madame allongée sur un lit, les arpions en l'air et plein de blouses blanches s'affairant autour d'elle, lui intimant à l'unisson de pousser, pousser, pousser. On allait à l'hôpital pour accoucher comme on allait se faire réparer une fracture, on s'en remettait au savoir des médecins qui s'y connaissaient sur le sujet mieux que nous, et puis voilà.
En bonne élève, j'ai suivi religieusement les cours de préparation à la naissance. Certains furent instructifs puisqu'il abordaient la gestion de la douleur par la respiration, l'utilisation du ballon... D'autres furent plutôt traumatisants, comme celui sur le déroulement de l'accouchement, qui ne fut qu'une énumération de tous les gestes cliniques pouvant être effectués par le personnel soignant : analgésie péridurale, sondage urinaire, utilisation du forceps... Je suis sortie de là en me disant que ça allait être une boucherie. Et puis, au fond de moi, la Sacro-Sainte péridurale qu'on me vendait comme la panacée mais qui m'interdisait de manger, boire ou me déplacer ne me faisait ABSOLUMENT PAS envie, voire me faisait carrément flipper. Ma Wonder-Maman avait fait sans, c'était pour moi une évidence que je n'en avais pas besoin.
C'est dans cette optique que j'ai cherché des ouvrages pouvant me guider dans cette direction : j'ai découvert le livre d'Aurélie SURMELY, Accoucher sans péridurale, que j'ai dévoré en une après-midi et loué le reportage de Nina Narre, Faut pas pousser. Il coûte 15 euros en location mais la somme est dérisoire comparée à la mine d'informations contenues dans ce documentaire. De mes recherches, j'ai retenu que :
- la femme PEUT et SAIT accoucher naturellement (ben oui, on a tendance à oublier que la nature est en principe pas trop mal fichue) ;
- l'analgésie péridurale, elle, peut diminuer l'efficacité des contractions et entraîner un ralentissement du travail. Conséquence fâcheuse : le petit fatigue et ça finit à l'extraction forcée par instruments ou césarienne ;
- la position sur le dos dite "gynécologique" est une hérésie qui va à l'encontre du besoin de gravité pour que bébé descende correctement.
Nina Narre décortique savamment les chiffres des accouchements, en clinique, à domicile, avec et sans péri, avec et sans complications. Une fois encore, il en ressort, au travers d'entretiens instructifs et passionnants avec des professionnels du milieu, qu'en maternité, c'est bien plus simple de gérer des futures Mamans en médicalisant l'acte à outrance. De même, le travail est parfois déclenché artificiellement, sous prétexte d'une suspicion de gros bébé alors qu'il s'agit surtout de caser les différentes Mamans dans le planning de l'établissement. Moi qui prenais les femmes enfantant à domicile pour des farfelues, voilà que je commençais à les comprendre. Bref, ce reportage m'a confortée dans mon idée de "faire sans" et en plus j'ai forcé mon Jules à le regarder. Un conjoint convaincu lui-même, rien de tel pour vous soutenir.
En matière de soutien, justement, je n'ai pu que compter sur lui. Parce quand vous commencez à expliquer autour de vous que vous ne voulez pas vous faire injecter de la cochonnerie, on vous sort : "Ouais, elles disent toutes ça au début." Les bonnes femmes ? ELLES SONT PIRES. "Pfff, moi aussi j'étais comme toi mais j'ai supplié pour l'avoir, toi aussi tu vas pleurer pour que l'anesthésiste débarque." C'est formidable. Sous prétexte que certaines ont choisi de la demander (je ne juge pas, chacun fait bien comme il veut ou peut), on vous bazarde à la tronche que vous, vous ne saurez pas faire. La solidarité féminine a de beaux jours devant elle.
L'obstétricienne ? Même combat, mais en tempérant un peu le propos : la clinique où je prévoyais d'accueillir mon fiston dispose d'une salle physiologique, elle était ainsi un peu sensibilisée à ce sujet même si visiblement ça ne l'arrangeait pas trop. "C'est votre premier, vous ne savez pas de quoi vous parlez," sous-entendait-elle d'un air condescendant. L'épreuve du feu, ce fut le rendez-vous chez l'anesthésiste qui consistait surtout à signer de la paperasse et lui annoncer qu'elle ne toucherait pas ses honoraires. Elle m'a demandé si j'étais sûre de moi, car passé un certain stade, il était trop tard pour la réclamer. J'ai campé sur ma position. Alors elle a cherché du secours dans les yeux de ma moitié, mais Jules était aussi résolu que moi. Fin de la discussion. L'entretien a duré 7 minutes.
C'est forte de ces convictions que je m'approchais doucement de la date du terme. Dans l'article précédent, je vous disais que bébé était pas hyper pressé d'arriver. Il fallait laisser la nature faire mais cela ne semblait pas convenir à ma chère obstétricienne qui jugea pertinent d'envisager un déclenchement le jour du terme. L'argument médical ? Mon diabète gestationnel qui entrainait un risque de macrosomie (un gros bébé quoi) et d'hypoglycémie chez le petit.
OKAY. Donc, pendant trois mois, on m'a félicitée parce qu'aux échographies, Gustave n'avait RIEN d'un bébé de diabétique et parce que j'arrivais à réguler "à peu près" ma glycémie en me privant de pâtes et de desserts (et accessoirement en m'injectant de l'insuline trois fois par jour) mais une semaine avant la fin, la situation est devenue soudainement critique. Sachant que la toubib partait en vacances... le jour de mon terme, j'ai plutôt eu le sentiment que j'étais un numéro de dossier à clôturer dans son planning chargé. Je suis rentrée dépitée parce que le déclenchement, c'était tout ce dont je ne voulais pas.
Bon timing ou bonne étoile, le lendemain midi (un mercredi) j'ai ressenti la toute première contraction de ma vie. J'ai vaqué à mes occupations parce que c'était franchement gentillet. Le soir, j'ai poussé la chansonnette dans un karaoké endiablé avec Jules et Louloute, ondulant le bassin sur mon ballon au rythme de Queen et d'Abba. A quatre heures du matin toutefois, c'est devenu moins sympa et assez désagréable pour m'empêcher de dormir.
Nous sommes partis à la maternité quand nous avons estimé que c'était pertinent au regard des consignes données pendant mes cours (intensité, fréquence et durée des contractions). On m'a fait passer un premier monitoring, au doux son du marteau-piqueur qui opérait sur le parking de la clinique et on m'a demandé d'estimer ma douleur de un à dix. Ca m'a tellement stressée de pas donner une bonne réponse que mes contractions se sont arrêtées d'un coup. Verdict du corps médical : ouverture minimale du sas d'entrée, c'est du faux-travail, RAS, circulez y a rien à voir. Sage-Femme n° 1 m'a proposé d'aller faire un tour, j'ai répondu que je préférais retrouver l'environnement rassurant de ma maison avec mon plaid, mon canapé et mon chien tout doux pour faire des câlins.
La réalité ne fut pas aussi rose : la douleur a augmenté pendant les deux très longues journées qui ont suivi. Deux nuits blanches où j'ai dû installer mes quartiers sur le canapé-lit pour ne pas importuner Jules avec ma respiration en "FFFFF" et mes couinements. Même le chien n'osait pas s'approcher. Entre deux contractions, j'essayais de somnoler assise contre un coussin (impossible de rester allongée), en écoutant ma playlist de méditation de naissance (j'ai vachement bien médité tiens).
Dans la nuit de vendredi à samedi, j'ai soupçonné une fissure de la poche des eaux, qui, à ce que j'avais compris, nécessite une prise en charge médicale assez rapide car bébé n'est plus protégé de la malpropreté du monde extérieur. Nous nous sommes de nouveau farci le trajet de quarante minutes jusqu'à la clinique. L'avantage, c'est qu'à quatre heures du matin, nous n'étions point importunés par les bouchons (en revanche on a failli écraser deux chats en escapade nocturne). Pliée en deux et malade, j'ai réussi tant bien que mal à marcher jusqu'à l'entrée des urgences obstétricales.
Nouveau monitoring, nouvel examen : ça avait à peine bougé depuis jeudi mais pour les raisons évoquées ci-dessus, on m'a gardée et attribué une chambre. Comme mon intérieur n'était plus étanche, je fus mise sous perfusion d'antibiotiques. La journée du samedi fut ponctuée d'allers et retours devant la clinique avec mon homme et de passages en salle de pré-travail pour "voir où ça en était" et à chaque fois, même topo, rien de bien significatif. Sage-femme n°2 m'a proposé une injection de morphine pour calmer la douleur et me détendre. J'ai accepté à contrecœur, au bout du rouleau. Sur le moment, ça ne m'a NI fait pioncer, NI soulagée. Pour bien me plomber le moral, on m'a expliqué que ça pouvait durer comme ça encore des heures voire des jours, que les soignantes n'étaient pas des magiciennes et que je devais prendre mon mal en patience. C'était bien gentil tout ça, mais moi, ça faisait plus de soixante-douze heures que je contractais soit-disant pour rien, j'en bavais sérieusement et mon estomac continuait de faire des siennes quand mon ventre se serrait un peu trop fort.
Gros craquage le samedi soir : j'étais crevée, le ventre vide, infoutue de m'asseoir ou de me coucher . Mon Jules, lui, se sentait bien impuissant. Ma volonté de faire du "sans péri" commençait à se réduire comme une peau de chagrin. J'ai dû sortir deux, trois absurdités du genre "Je vais crever ici si ça continue" ou "Mais qu'on m'ouvre le bide au scalpel, j'en peux plus !!".
Je ne sais pas si c'est la piqûre de morphine dans mon fessard qui a eu un effet tardif, mais j'ai fini par prendre sur moi et à me coucher sur le côté pour somnoler un peu. J'ai décidé, je ne sais comment, que j'allais accepter ce qui m'arrivait parce que de toutes façons, je n'avais guère le choix. Mes contractions, elles, s'en donnaient à cœur joie en me remontant dans les reins. Que du bonheur.
A deux heures du matin, j'ai rompu la poche des eaux. C'est assez rigolo comme sensation, un vrai baudruche qui éclate. J'ai dû réveiller Jules pour retourner au bloc obstétrical. Le trajet fut épique : lui devant pour ouvrir les portes et appeler l'ascenseur puis moi, en vieux T-shirt trop grand et slip filet offert par la maison (le fameux) et chaussettes, un bout de drap autour de la taille (comme s'il me restait de la dignité à préserver, hein), accrochée à ma perf' d'Amoxicilline, marchant à la vitesse d'un limaçon et m'arrêtant tous les trois mètres en couistant.
Je retrouvai, non sans déception, SF n°1 qui m'avait examinée deux jours plus tôt, toujours aussi peu aimable. Bilan des courses : il y avait du mieux, mais c'était encore insuffisant pour entamer les festivités.
"Vous pouvez retourner dans votre chambre et puis rappelez-moi quand vraiment la douleur sera insupportable."
AH AH AH.
Sans blague.
Ellipse d'une heure, pendant laquelle Jules a repiqué des pois (on ne le blâmera pas, à ce stade-là, j'étais dans ma bulle et il ne pouvait guère intervenir, le pauvre) et moi, je gérais mon affaire comme je le pouvais. Quand il s'est réveillé et m'a retrouvée à quatre pattes sur le plumard, la tête dans l'oreiller, nous avons décidé qu'il était temps de redescendre, et tant pis pour la tranquillité de SF n°1 (elle a dû en dire, du mal de moi, dans la salle de pause).
Je l'ai un peu moins détestée quand, à quatre heures du matin, elle m'a annoncé "un bon cinq" et que j'allais pouvoir passer en salle de travail.
ALLELUIA.
Toute la pression accumulée sur mes épaules depuis trois jours s'est envolée d'un coup d'un seul. Petit bémol toutefois : la fréquence cardiaque du petitou n'était pas optimale en fin de contraction : je devais rester sous monitoring et donc immobile sur la table d'accouchement. Ca ne m'enchantait pas mais il avait toujours été limpide dans mon esprit qu'au besoin, si la santé de bébé (ou la mienne) était en jeu, j'écoutais l'équipe médicale. (Bon, j'ai appris plus tard que c'était plus ou moins normal, mais je n'étais franchement pas en position ni en état de contredire qui que ce soit).
C'est dans un état d'esprit bien plus positif que j'ai attaqué la phase suivante. En plus, il était huit heures du matin, SF n°1 avait fini sa garde et sa collègue était bien plus sympa. J'avais de la musique et j'étais couchée sur le côté. Ne nous méprenons pas, j'avais toujours aussi mal, mais les choses avançaient bien et j'étais requinquée moralement. Assez pour refuser la péri' une bonne fois pour toutes. Ne jamais sous-estimer le mental.
J'ai donc pu sentir tout ce qu'il se passe dans mon bidou en action, notamment l'arrivée de bébé et le besoin de l'accompagner (les fameuses poussées). J'ai compris que j'approchais de la ligne d'arrivée quand deux autres sages-femmes nous ont rejoints et ont commencé à installer ce qui ressemblait à de la bâche plastique et des bassines par terre (là je me suis dit que ça n'allait pas être propre). On m'a mise en position classique : je vous confirme que si cela offre une parfaite vision sur la piste d'atterrissage de bébé, moi, j'ai trouvé ça contre-productif au possible.
J'ai essayé de me souvenir de mon cours sur la respiration, mais ça m'a perturbée plus qu'autre chose. Alors je suis passée en mode "pilote automatique" et j'ai laissé les instincts primitifs faire le reste. La fin est plus floue, je me souviens surtout des encouragements de mon Jules qui ne me laissait rien lâcher (un soutien extraordinaire, on m'a même demandé s'il était coach sportif tellement il était convaincant). Si j'essayais jusque là d'être discrète, je pense qu'on m'a entendue à cinq kilomètres à la ronde sur la poussée finale, quand bébé a enfin montré sa petite frimousse (enfin "finale", c'est vite dit, il y a encore du boulot après, mais le plus dur était fait).
Effet WAOUW garanti quand vous voyez cette petite chose à la fois fragile et bruyante pour la première fois. C'est tellement intense que ça ne se décrit pas. J'avais fait part de mon souhait d'allaiter et bébé fut mit en place pour la tétouille de bienvenue.
Puis Papa Jules est parti avec une des sages-femmes pour les premiers soins du bébé, me laissant sur ma table d'accouchement car le boulot n'était pour moi pas terminé. Délivrance, vérification de l'absence d'hémorragie, séance de couture, la besogne post-arrivée de bébé est conséquente. Rien de bien méchant en comparaison au marathon que je venais d'achever, mais au bout d'un moment, j'avoue que j'en avais un peu ras-la-casquette d'être examinée, observée, charcutée.
Le moment où mon cathéter fut retiré me fut jouissif, symbole ultime de la fin de mon calvaire. Avec quatre nuits blanches au compteur et un fromage blanc dans la panse, c'est peu dire que j'étais complètement vidée et épuisée.
Les soignantes m'ont chaudement félicitée pour mon bel accouchement, impressionnées qu'elles étaient par ma performance de primipare.
Je réécris cet article un an après les faits, parce que j'ai eu le temps de prendre du recul sur le sujet. Et si les choses se sont bien passées, certains points me laissent un goût amer. Le fait qu'on me dise que je fais du "faux-travail", sous-entendant fortement que je joue la comédie, que je n'ai pas assez mal et que j'embête le corps médical pour rien. Si c'était à refaire (mais c'est facile à dire après coup), je crois que je demanderais qu'on me fiche la paix et qu'on me laisse avancer ma besogne toute seule comme une grande dans la position choisie. Imposer à une femme de subir les contractions sur le dos, c'est de la torture pure et simple, normal qu'on craque. J'ai un peu l'impression d'avoir été infantilisée, privée de décisions qui me semblaient être les plus pertinentes. Je ne blâme pas le personnel médical : il applique ce qu'on lui appris. Mais je pense qu'il y a du boulot pour faire évoluer les mentalités. Pour ma part, je conseille le reportage de Nina Narre à toutes les futures Mamans autour de moi. Pas pour dire "la péri' c'est nul, accouche chez toi", mais juste pour qu'elles aient une autre vision de l'enfantement et en soient les actrices au lieu de subir.
En lisant cet article, on pourrait penser que je garde un mauvais souvenir de tout ça : il faut dire que statistiquement, j'ai passé plus de temps à morfler qu'à kiffer. Et bien étrangement, à ce jour je ne retiens que les quelques heures en salle de travail, dans une ambiance détendue, avec la BO de Gladiator en fond sonore, le soutien de Monsieur et l'équipe médicale super sympa. Je suis fière de ce moment.
Mon petit Gustave (pseudonyme) était absolument délicieux à regarder, emmitouflé dans sa turbulette et son bonnet. Le sourire attendri aux lèvres, je songeais naïvement que le plus dur était derrière moi.
Erreur de débutante. Les choses sérieuses ne faisaient que commencer.
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