Je ne pensais pas que le moment d'entamer cet article arriverait si vite. Six mois, voilà déjà six mois que je suis arrivée sur le quai de la gare de Pau avec ma grosse valise, à la fois terrorisée et excitée par les nouveautés qui m'attendaient, à en frôler l'insomnie (c'est qu'elle est point trop détendue de nature la petite Paupau). La bonne nouvelle, c'est que je suis en pleine forme. Retour sur mes premiers pas de la vie à la sauce béarnaise.
Le dépaysement fut intense. Il faut dire que la montagne est omniprésente. Parfois au petit lever, selon le sens du vent, on entend les cloches des vaches au loin, c'est bucolique et délicieux.
Niveau bouffe, rupture totale : plus de pot de rillettes de Connerré dans les supermarchés, place au confit de canard et à la tourte aux myrtilles. D'ailleurs, ici, on ne jure que par la ventrèche et le piment d'Espelette (petit village qui, à ce qu'on m'a dit, mérite le détour).
Mais là où ça devient intéressant, c'est quand vient le moment d'interagir avec les locaux. Alors, lecteur crois-moi-bien, des immersions dans des lieux inconnus, j'en ai fait. J'ai, lors de mes voyages par monts et par vaux, côtoyé de l'anglais joyeusement ivre, refusé l'invitation louche d'un rabatteur à Berlin ou survécu en tant que seule francophone à des soirées gratins-de-morue avec une famille portugaise. L'autochtone des Pyrénées, je n'avais jamais pratiqué, mais je m'étais dit qu'après tout ça, ça allait être de la rigolade.
Sauf que l'autochtone en question, il est un peu, beaucoup, chauvin. Ce n'est pas rare qu'au détour de la conversation, il te glisse "Moi je suis Basque" (la version "Moi je suis Béarnais" existe aussi. Un conseil, évite toute confusion, c'est susceptible ces petites bêtes-là).
On te rappelle bien vite que tu n'es pas du coin. Un beau jour, alors que j'échangeais par combinés interposés avec une potentielle cliente, j'ai eu le malheur de lui demander comment épeler le nom de son village. Elle m'a d'emblée assassinée verbalement d'un "Vous n'êtes pas d'ici, vous". Le reste de la conversation, elle m'a causé comme si je l'appelais depuis une plateforme téléphonique basée à Pétaouchnok... Malaise.
Mon Super-Papa me raconte souvent l'anecdote suivante : "Quand, pour le boulot, j'avais au bout du fil des interlocuteurs du Sud de la France, je ne comprenais pas un traître mot de ce qu'ils me racontaient. Ils causent point la même langue que nous là-bas". Qu'on se le dise, dans nos provinces près de la Loire, on se targue d'avoir un français très pur (véridique). Alors, forcément, on aime bien se moquer (gentiment) de nos compatriotes méridionaux qui prononcent toutes les syllabes d'un mot, mêmes celles qui n'existent pas (j'ai encore en tête le "peneu" d'une ancienne collègue de Perpignan). C'est de bonne guerre, comme celle qui perdure entre les ardents défenseurs de la chocolatine et les avocats du pain au chocolat.
Alors, oui, la prononciation chantante, je m'y attendais. L'utilisation de termes béarnais dans les phrases, comme "Adiu" pour dire "Bonjour" ou "Capbourrut" pour désigner une tête de mule, fut quelque peu surprenante, mais ça sonne rustique et j'adore ça.
En revanche, pour la trahison de mon sacro-saint Bescherelle, personne ne m'avait prévenue. Mes oreilles ont connu quelques épisodes de saignement violent. Parce que les gens ici, ils déforment la langue d'oïl sans complexe. Paresse locale ou fierté linguistique ? Je ne saurais vous dire, mais la première fois que j'ai entendu "De-me-le" au lieu de "Donne-le-moi" ou "Tu l'appelles à lui" pour "Appelle-le", j'en suis tombée de ma chaise.
Au niveau des conversations, on sent que les repères ne sont pas les mêmes, et que le Nord est une notion extrêmement subjective. Ici, quand je dis que je viens de la Sarthe, les gens sont persuadés que je bouffe des frites et parle ch'timi à mes heures perdues. De même, j'ai découvert la nuance subtile entre "Aller à la mer" et "Aller à l'océan". Combien de fois me suis-je fait rabrouer par Jules parce que j'ai dit que je voulais voir la mer à Arcachon... !
Une fois ces subtilités locales intégrées, on s'habitue vite. Même aux inscriptions "Non aux ours" taguées sur la rocade de Pau. J'ai eu le sentiment de m'être vachement bien adaptée quand j'ai commencé à râler après les touristes qui roulent à 2 à l'heure sur la route de Lourdes pour admirer les moutons.
Changeons de thématique et abordons à présent une autre thématique, et pas des moindres : la vie de trentenaire casée. Il y a quelques temps, j'avais évoqué dans cet article mon incapacité notoire à trouver chaussure à mon pied. Trois printemps plus tard, après avoir trouvé un soulier de catégorie supérieure, me voilà confrontée à une autre réalité dont je trouve qu'on ne cause pas bien suffisamment : les débuts de la vie à deux. Elle est désormais lointaine, l'époque où l'on se croisait par intermittence, celle où les grandes décisions de la vie se limitaient au choix du Air BNB ou du restaurant lors de nos escapades fugaces sur la côte atlantique.
Aujourd'hui, nous avons la joie de partager le quotidien dans son intégralité. Notre doux bonheur se construit désormais dans les allées du Super U, chacun essayant de convaincre l'autre des bienfaits de son régime alimentaire (basse-côte contre boulgour, la lutte est acharnée) ou dans l'organisation des sorties de la poubelle jaune. Enfin, on rigole, on rigole, mais la première fois que Jules et moi fûmes en désaccord, je crus que c'était la fin et que j'allais être renvoyée à coups de pieds dans le croupion dans le fin fond de ma campagne sarthoise.
Pour ajouter du piment dans ma routine conjugale, j'ai la joie, le bonheur et l'avantage d'être belle-maman d'une pré-ado de 12 ans, charmant cliché de son âge, de sa génération, qui se plait à naviguer entre sa Switch, Tik-Tok, l'achat de hauts qui laissent le nombril à l'air, et qui se sent, bien évidemment, terriblement incomprise par le monde adulte. Comme je suis une belle-doche moderne, je me suis adaptée, tant et si bien qu'il nous arrive parfois d'improviser des sessions de karaoke endiablées dans le salon ou de folles chorégraphies au son des pépites musicales actuelles. La dernière en date : Tombollywood, œuvre pour laquelle le parolier a mis tout son cœur : "Essuie-glace, lâcher, lâcher, bloquer". Oui, je confirme, parfois, Papa Jules est quelque peu dépassé par les événements.
Et puis il y a Petit Gros, le toutou de la maison. Quatorze kilos cinquante de câlins, chasseur de mouches et de lézards émérite, le boyau tracassé et un mépris total des conventions sociales humaines. C'est un amour inconditionnel que nous éprouvons désormais l'un pour l'autre et la fête qu'il me fait le soir quand je rentre du boulot me fait aussitôt oublier les tracas informatiques et les clients grincheux de ma journée de labeur.
Ces derniers temps, Petit Gros fait la tronche le matin parce qu'il a le sommeil perturbé. Le coupable ? La deuxième boule de poils de la maison. En effet, mon Jules a été fort inspiré pour la St Valentin de cette année en faisant de moi l'heureuse propriétaire d'un hamster doré.
Soyons honnêtes, au premier abord, la bestiole ressemble à un rat et est absolument inutile, surtout qu'elle passe la journée à pioncer. Mais voilà, toute la maisonnée a craqué en voyant sa petite tête trop mignonne et à force de patience (et de vers de farine), notre petit Karadoc s'est habitué à ses humains bruyants. Note pour les éventuels futurs adoptants : il faut penser à bien HUILER sa roue avant utilisation, parce que la bestiole, là, elle est capable de courir au moins cinq kilomètres par nuit, je te raconte pas le tapage nocturne dans le salon.
En dehors de mon foyer animé, j'ai été fort bien accueillie par mes nouvelles voisines. Notre lotissement, c'est comme le quartier de Wisteria Lane dans Desperate Housewives. Quand il te manque du papier cuisson, une douille à pâtisserie ou un tuteur à tomates, tu envoies un SOS général et dans les trois minutes qui suivent une copine vient à ta rescousse, c'est fabuleux.
Par ailleurs, nous nous trouvons des hobbies communs. C'est ainsi que j'ai testé la réunion de prêt-à-porter Captain Tortue du samedi après-midi. Concrètement, c'est le même principe que la réunion Thermomix, mais au lieu d'essayer de faire du sorbet fraise express ou de la focaccia trop bonne, tu finis en culotte avec les copines à essayer des fringues à fleurs que t'aurais même pas regardé dans un magasin normal. Un bien beau concept.
Quand on ne pâtisse pas des cochonneries à faire grossir nos hommes, nous allons à la salle de sport pour entretenir nos corps de déesses. J'avais testé la chose en Angloisie, au temps de ma jeunesse mouvementée, mais flemmarde comme j'étais, je faisais dix minutes sur le rameur avant d'estimer, en accord avec moi même, que j'avais suffisamment fourni d'effort pour le trimestre. Mais là, les choses se sont corsées puisque je suis des vrais cours avec un vrai prof.
Le bougre nous fait découvrir le HIIT Fight. HIIT, ça veut dire High Intensity Interval Training, donc de l'entraînement de HAUTE INTENSITE qui te secoue le palpitant et fight, c'est parce qu'on tape sur un punching ball. Des vrais enchaînements hyper chiadés pour la profane de l'uppercut que je suis, mais qu'est-ce que ça défoule.
Dans un registre plus pédalistique, les filles m'ont convaincue d'essayer le bike. Là, on débranche le cerveau, et on pédale, encore, encore et encore. Et quand le petit Monsieur dit "ON SERRE", il faut augmenter la résistance (ou faire croire qu'on le fait, si, si, ça peut sauver la vie). J'ai remarqué que pour nous il demande plus souvent de serrer, mais c'est parce qu'on passe tout le cours à papoter dans le rang du fond. Une fois encore, la discipline fait bobo aux cuissots et au fessard, mais c'est bon pour le moral !
Alors, le bilan ? J'ai souvenance avoir, il y a quelques années, soutenu que :
"Moi, franchement, le schéma de vie planplan avec le bonhomme, le petit pavillon, le gosse et le chien-chien, à aller à la gym avec les copines pour partager ses émois de crise de la quarantaine, très peu pour moi."
Et ben voilà.
ON Y EST.
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