Joies de la grossesse : acte I

Cet article marque le tournant particulier que prend ma vie en cet été 2022, en rupture totale avec l'ambiance festive de mon existence de célibataire d'il y a quelques années. "Moi, des gosses ? Jamais !" me plaisais-je à crier sur tous les toits, trop heureuse de n'avoir à m'occuper que de ma petite personne quand je voyais mes copines courir à droite à gauche et après le temps pour s'occuper de leur progéniture. Mais comme on dit, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

Il faut dire qu'avec Jules, la question de l'héritier est rapidement venue sur le tapis. Paraît que c'est normal quand c'est le big big love, qu'on s'aime si fort que l'aboutissement naturel, c'est la fabrication d'un joli mélange de nous deux. Je pensais souffler un peu après mon installation à deux, mais nous étions bien trop pressés de compliquer notre train-train quotidien avec des pleurs d'enfants et des couches souillées. Le projet "Gustave" était né.

On m'avait dit que ces choses-là pouvaient prendre du temps, qu'il fallait remettre en route la machine. Quelle ironie, pendant des mois, des années, on fait tout pour ne surtout pas se reproduire et profiter à foison des galipettes et d'un coup d'un seul, on exige que tout se fasse illico presto, éternels insatisfaits que nous sommes. Je m'étais ainsi préparée psychologiquement à ce que l'affaire prenne plusieurs mois, histoire de ne pas m'empoisonner la vie avec du stress inutile.
"Pas de pression, moins tu y penses, plus vite ça arrive."
Ben pour le coup, j'y ai pas pensé du tout, parce que j'avais l'esprit TOTALEMENT occupé par le concert de Patoche à Biarritz et par la venue de Papa-Maman dans mes pénates pyrénéennes.

La grande découverte

C'est un beau matin en m'installant comme à l'accoutumée à mon bureau que des odeurs ont commencé à me déranger fortement. En vrai, j'avais l'impression d'avoir un nez bionique capable de sniffer les effluves de café à l'autre bout du bâtiment. Etrange sensation qui additionnée à d'autres symptômes dans mon petit corps ont fini par me mettre la puce à l'oreille. Après l'envoi de SOS par WhatsApp à mes copines, j'ai eu la confirmation qu'il était peut-être temps de vérifier mon état. 

La réponse fut sans équivoque en ce mardi matin d'octobre avec l'affichage quasi-instantané de deux traits bien nets, merci Clearblue. M'attendant à tout sauf à ça, je me suis effondrée en larmes dans les bras de Jules, répétant que non, non, ce n'était certainement pas possible, que j'étais tombée sur le seul exemplaire défectueux du lot de tests, qu'il fallait écrire au Service Clients pour poser une réclamation  et que de toute façon, je n'étais certainement pas prête à endosser pareille responsabilité. Une picouse au labo plus tard,  mon taux de bêta-HCG mis fin au doute. En dessous d'un taux de 5 UI/L, on peut considérer qu'il n'y a pas de grossesse. Moi, j'étais déjà rendue à plus de 4000 UI/L.

Et là, CATASTROPHE dans mon cerveau de control-freak : par où commencer, qui appeler, que faire ? "Ne panique pas, tout va se faire", qu'il m'a dit, mon Jules tout ému lui aussi.

Certes. N'empêche que quand vous commencez votre parcours de primipare toute fraîche, vous êtes un peu empotée, comme si vous veniez d'ouvrir les portes sur un monde totalement inconnu et effrayant, avec un jargon incompréhensible : SG, SA, DPA, MAP*.. Et la condescendance de certaines secrétaires médicales (qui vous prennent carrément pour une débile profonde parce qu'un peu hésitante) n'est pas là pour arranger les choses.

*SG = semaines de grossesse, SA = semaines d'aménorrhées, DPA = date prévue d'accouchement, MAP = menace d'accouchement prématuré

Les premiers examens

Mais il y a aussi des professionnels supers. Mon échographe par exemple. Avec Jules, nous l'avons surnommée "Sergent Chef" parce qu'à notre première visite, elle est arrivée avec son flacon de gel hydroalcoolique et ses sur-chaussures jetables "Bonjour. Lavez-vous les mains, enfilez-ça et Monsieur, montrez moi votre pass sanitaire. Madame s'assoit là, et Monsieur près de la fenêtre. Ah, la prochaine fois, merci d'arriver à moins cinq." (Je précise que nous étions arrivés pile à l'heure). Nous ne faisions pas les malins, mais nous avons compris qu'elle était aussi carrée et rigoureuse dans son travail, et ça, c'était rassurant. 

Nous avons pu voir et entendre notre crevette de 26 mm, ce qui a inévitablement entrainé une activation excessive de nos glandes lacrymales. La dame m'a donné quelques devoirs à faire : contacter une sage-femme pour mettre en place le suivi mensuel (c'est que les futures mamans sont suivies comme le lait sur le feu), ne pas trop m'empiffrer parce que mon résultat de glycémie n'était pas tip-top, puis me détendre et surtout laisser la nature faire puisque tout allait bien.

Lâcher prise

Dans la vraie vie, soyons honnête, c'est super stressant le premier trimestre. Difficile de ne pas se faire tous les scénarii catastrophes du monde. Les ouvrages et articles en ligne sur le sujet, même s'ils sont riches en informations, participent grandement à nourrir nos angoisses. En débutante appliquée, j'ai fait l'acquisition d'un ouvrage sur le sujet, permettant de suivre le développement du fœtus semaine après semaine, ainsi que les transformations du corps de la Maman, jusqu'à l'accouchement. Cette partie-là est instructive. En revanche, tous les paragraphes sur les complications possibles sont terriblement anxiogènes. Aussi le livre en question a-t-il rapidement retrouvé les rayons de la bibliothèque, pour ne plus jamais les quitter. 

Les forums Internet sont encore pires. Très tôt, j'ai installé l'application mobile We Moms, sur laquelle les Mamans et futures Mamans peuvent poster sur des sujets divers et variés. J'ai trouvé ça pas mal, je me sentais moins isolée à un stade où je restais discrète sur mon état et n'avais donc pas grand monde avec qui partager la chose. Au bout d'un moment, je me suis rendu compte qu'à lire les appréhensions et les problèmes des unes et des autres, je me mettais à craindre des trucs affreux auxquels je n'aurais jamais songé toute seule.

Premiers tracas

Le chamboulement fut également physique. J'ai eu la joie d'expérimenter les fameuses nausées de grossesse. Alors non, je n'ai jamais été malade et ça n'a duré que quelques semaines, mais pendant cette période, à chaque odeur ou vision suspecte mon corps était assailli de haut-le-cœur. Les coupables étaient multiples : café de mon amoureux, parfums de vieilles clientes, viande crue, croquettes du chien, je suis devenue une vraie chochotte de la senteur disgracieuse, me valant une multitude de moqueries de la part de mon cher et tendre. Heureusement, j'ai trouvé une parade : le jus de pamplemousse. Les jus de fruits c'est le mal absolu parce que c'est bourré de sucre, mais clairement, celui-là a sauvé mon premier trimestre.

On parle beaucoup de la fatigue du dernier mois de grossesse, mais trop peu de celle des premières semaines. A titre personnel, j''ai eu l'impression qu'un rouleau compresseur m'était passé dessus, j'étais vidée de mon énergie. L'arrivée de la saison hivernale n'a pas arrangé les choses : nuit noire à 17 heures, trombes d'eau, résultat, Mamie Paupau finissait enroulée dans sa couette dès 21 heures (voire 20 heures 30) ou échouée sur le canapé pendant deux heures post-repas le samedi après-midi (le chien était ravi). 

Le début des frustrations 

Autre changement et non des moindres : la bouffe. Lecteur, lectrice, s'il y a une qu'il faut savoir sur moi, c'est à quel point j'aime manger. Produits d'ailleurs, produits de mon terroir, salé, sucré, je ne suis guère difficile. Sauf que pendant la grossesse, il faut absolument éviter toutes les maladies aux vilains noms se terminant en "ose" : toxoplasmose (si pas immunisée, c'est mon cas), listériose, salmonellose... En pratique, ça veut dire avoir une hygiène de la cuisine impeccable (mais bon, ce n'est pas censé être une découverte ça) et éviter certains aliments. Nos mères diraient : "Vindiou, de notre temps on ne se prenait pas autant la tête." Oui, mais nous, dès que le toubib utilise le terme "risque", dans le doute, on s'abstient.

Je vous le dis, mon cœur a saigné quand j'ai lu la liste des interdits, j'ai cru qu'on m'avait punie : viandes et poissons crus (juste quand le Super U du coin ouvre un rayon sushis, merci bien), les viandes fumées, les croûtes de fromage, les rillettes, le pâté, le foie, les œufs crus (et donc tous les desserts pas cuits, adieu mousses, tiramisu et crèmes en tout genre), fromage au lait crû, et caetera, et caetera. Pauvre de moi, qu'allais-je devenir ?

Le grand secret

Je suis de nature superstitieuse. Il était donc hors-de-question que je dévoile au grand jour la réalité de ma condition avant la première échographie officielle. Au quotidien, ce fut un défi de chaque instant, puisqu'il fallut : 
  • Dissimuler les nausées, même ce fameux lundi matin où j'ai retrouvé dans le frigo du boulot des pinces de crabes oubliées tout un week-end et à l'évidence un peu passées ; 
  • Fuir les fumeurs comme la peste quitte à passer pour une antisociale ;
  • Refuser la coupette de champagne aux soixante ans de mon employeur alors que c'est de notoriété publique que je crache pas sur la bibine (doux euphémisme) ;
  • Calmer mes sautes d'humeur. En fait non, je n'ai pas réussi. J'irais même jusqu'à dire que ce fut hyper formateur, moi qui ai tendance à m'écraser et à dire amen à tout. J'ai découvert la joie d'envoyer valser les gens et je confesse sans honte que jouer les Madames C*nnasse fut carrément jubilatoire. "Oh bah Paupau, t'es pas bien lunée aujourd'hui, t'as tes règles ou quoi ?!" Et bien NON, justement.
Mais là où on passe CARREMENT en mission commando, c'est au repas chez beau-papa (cette règle s'applique d'ailleurs à tous les repas de famille). Lui est un bon vivant et sa moitié excellente cuisinière, alors forcément, quand on y va, je me fais habituellement péter la panse. Il a des étoiles dans les yeux quand je me ressers du magret de canard cuit au barbecue et du dessert et, bien évidemment, mon verre n'est jamais vide. 

La santé de bébé passant avant le plaisir des papilles, j'ai donc dû un jour de novembre refuser successivement le verre d'apéro, la tranche de sauciflard et le toast au foie gras. L'affront ultime. Il a tenté un "Ah bon, tu es indisposée ?" auquel j'ai simplement répondu que j'avais fait un peu trop d'abus la veille, que j'entretenais mon corps de déesse, tout ça tout ça, un beau morceau de flûtiau quoi. Lui s'en moquait. Moi, sa belle-fille, je l'avais déçu, pour ne pas dire trahi. Grâce à la complicité de mon Jules, j'ai néanmoins survécu au repas, malgré le rôti de bœuf bien saignant et le fromage du pays. Le côté positif, c'est que c'est la première fois que je suis sortie de leur table sans avoir l'impression d'avoir pris trois kilos sur chaque hanche.

La révélation 

Heureusement, ces messes basses ne durent qu'un temps. C'est juste avant Noël que nous avons revu l'échographe pour la première échographie officielle (appelée communément la "T1"). Comme nous sommes arrivés à l'heure demandée, elle a dû voir que nous étions des gens sérieux et fréquentables, car elle a été plus cool que la première fois. L'examen terminé, elle nous a remis de jolis clichés et nous a dit qu'on allait avoir un beau bébé. 

C'est aussi à ce moment que les administrations ont été informées de mon statut de future maman et que j'ai pu ENFIN annoncer à mon employeur et mes collègues la présence de mon polichinelle dans le tiroir. Réaction des unes : "J'en étais SÛRE !!!". Réaction des autres "Ah ça explique certains de tes comportements !" Comprendre : aux yeux de mes camarades de travail, j'étais devenue une vraie peau de vache. 

Côté vie perso', le timing était impeccable, puisque nous étions en décembre et que le cadeau des futurs grands-parents était tout trouvé : nous avons préparé avec amour une jolie boîte avec la photo de notre merveille de six centimètres et des mini-chaussettes, pour leur annoncer la grande nouvelle. 

Les papis-mamies en devenir et redevenir furent bien sûr ravis. Les larmichettes ont coulé. Ma sobriété fut pardonnée par beau-papa, et on mit un point d'honneur à ce que mes bouts de viande soient bien cuits et recuits pour que je puisse profiter du repas du 25 décembre. 

La fin d'année approchait et celle du premier trimestre avec. Les nausées se sont estompées et moi, j'ai repris du poil de la bête. 

Et là, là seulement, j'ai OFFICIELLEMENT (enfin) pu commencer à me détendre.

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