Je profite d'un moment d'accalmie dans mon emploi du temps de ministre pour venir vous conter mes dernières aventures à Bécon-les-Granits (ou Jambon-les-Rochers pour les autochtones, jeu de mot tiré par les cheveux sur Bécon / Bacon... Mon Dieu, j'ai déjà mis cinq longues années à saisir la subtilité de l'humour British, voilà que je dois recommencer avec les tournures d'esprit angevines, à l'aide...).
Bécon-city, c'est là où habite ma copine Josette. Elle et son cher et tendre sont amoureux de la terre et de la rusticité, c'est pourquoi ils ont décidé de s'installer loin de l'agitation citadine. Aussi, quand Josette, dans sa grande bonté, a organisé une soirée champêtre il y a un mois de cela, Frénégonde et moi fûmes joie à l'idée de quitter un instant le vacarme du centre-ville pour aller courir dans les pâtures.
L'aventure a débuté quand, avec Frénégonde, nous avons pris la route vers la maison de Josette. Nous avons suivi à la lettre les instructions de la dame du GPS, celle dont on boit le propos comme si elle nous chantait la Bible, même quand elle répète de faire demi-tour "dès que possible" sur l'autoroute. Forcément, quand elle nous a donné comme directive de tourner à gauche à une intersection, nous n'avons pas cherché midi à quatorze heures, crédules que nous sommes. Les limites de la technologie sont devenues une évidence dans notre esprit quand nous nous sommes retrouvées à rouler à 30 km/h sur des voies qui n'ont de route que le nom. La rigolade sur l'absurdité de la situation a fait place à l'angoisse quand nous avons fait demi-tour devant une grange désaffectée qui aurait parfaitement pu servir de décor à un épisode de Walking Dead. "Non mais Popo, on va finir dépecées", m'a lancé Frénégonde, un brin inquiète. Finalement, j'ai joué la co-pilote après avoir fermé le clapet de la greluche, et nous sommes arrivées saines et sauves chez Josette.
Nous avons ainsi fait la connaissance de Pastèque, la mascotte des lieux, petit canidé issu de l'union improbable d'un chien-saucisse et d'un carlin, dont le résultat donne un visuel certes assez déroutant mais la petite bête est terriblement attachante. Ce fut là une soirée champêtre estivale digne de ce nom : un bon barbecue, un petit rosé, le chien qui dort à mes pieds, et une session musicale à écouter les gars jouer de la guitare. La vie la vraie.
Le seul hic chez Josette, c'est qu'il y a des serpents. Des horribles bestioles dont nous avons soupçonné la présence en raison de bruits suspects dans les feuillages et qui ont la fâcheuse manie de laisser traîner leurs peaux mortes dans les environs. Prendre l'apéro aux côtés d'une mue de serpent, c'est assez spécial comme concept quand on n'a pas l'habitude.
La légende rurale dit que pour faire fuir les serpents, il faut des poules. Josette n'était pas très emballée à l'idée d'avoir des gallinacés dans son terrain mais bon, sa crainte du reptile mal-intentionné a eu raison de sa réticence, et c'est ainsi qu'elle a fait l'acquisition de deux petites poulettes baptisées amoureusement Bridget et Jones par ses soins (en hommage à la comparaison fréquente entre nos vies agitées de trentenaires et celle de la célibataire la plus connue d'Outre-Manche). Jones vivait un peu sa vie et de temps en temps, elle se carapatait chez la voisine. Bridget était un amour de poule, suivant Josette partout et lui faisant parfois des câlins.
Il était donc convenu que vendredi dernier, je passe la soirée à Bécon-city pour, entre autres, faire la connaissance de Bridget et participer à la construction de son poulailler (sous prétexte que je sais planter un clou je me suis prise pour une experte du bricolage et ai proposé mes services).
Sauf que de poulailler, jamais il n'y aura. Est-ce là un mauvais concours de circonstances, un hasard vicieux, ou l'intervention malicieuse des trois Parques, divinités du destin ? Josette gardait ce soir-là le labrador de ses géniteurs, et le vilain cabot a en notre absence poussé la porte de l'écurie où Bridget était cachée, et lui a fait passer un bien mauvais quart d'heure (doux euphémisme). Je vous épargne la description du drame qui a suivi.
La soirée a tant bien que mal repris son cours, parce que ça a beaucoup plombé l'ambiance cette histoire. J'ai repris du service aux fourneaux et ai essayé comme j'ai pu de réconforter ma petite Josette à grand renfort de scones anglais et de crème au citron. Dans les distractions de la soirée, on notera la leçon "Les chevaux pour les nuls" qui m'a été faite par Josette (j'ai appris plein de nouveaux mots du champ lexical équestre), la séance d'escalade des bottes de foins (en robe bien évidemment, sinon c'est pas drôle) et l'observation de l'éclipse malgré les cieux nuageux (et les longs débats qui ont suivi à savoir qui du Soleil, de la Terre et des autres astres provoquait le phénomène... j'aurais dû écouter plus à l'école).
Mais l'apothéose de la soirée mesdames, messieurs, ce fut quand Josette, toujours tracassée, s'est mis en tête d'offrir une sépulture digne de ce nom à feu Bridget. Forcément, elle a choisi le coin le plus desséché et caillasseux du terrain (pour sa défense, le secteur où la terre aurait pu être malléable était infesté de bestioles volantes non-identifiées). Donc là, il faut nous imaginer, à minuit trente, toutes les deux, à la lumière de nos smartphones, à creuser l'increusable. Pastèque est venue à la rescousse et a participé, elle aussi, avec ses petites pattes. Nous avons tenu bon, et finalement Bridget fut mise en terre. Voilà un épisode dont Josette et moi nous souviendrons fort longtemps, parce que malgré le sérieux et la noblesse de la tâche, la situation était quelque peu abracadabrante.
Résultat des courses, me voilà rentrée à Angers dans un bien piètre état : crevée d'avoir veillé jusqu'à trois heures du matin (parce qu'on m'apprenait à attraper des mouches à la main comme le faisait jadis mon grand-père, je suis sûre que de là-haut il est super fier de sa petite-fillotte), les guibolles égratignées par les bottes de foin (mais l'apéro sur une botte d'herbe coupée, avec vue sur le coucher de soleil, c'est tout à fait charmant, je recommande), le mollet souffreteux à cause d'une vilaine crampe nocturne (merci les sulfites) et les doigts esquintés par les ampoules causées par l'excès de passion que j'ai mis dans mes coups de pelles.
Esquintée, mais ravie. Merci Josette pour ce moment.
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