Depuis quelques mois, je me suis prise de passion pour les pompiers. Je crois que c'est parce que j'avais oublié à quoi ressemblaient nos soldats du feu dans l'Hexagone. Il convient de préciser que quand je vivais Outre-Manche, les firemen anglois portaient d'immondes uniformes et casques jaunes, leur donnant une allure oscillant entre Bob le Bricoleur et Olivier de Kersauson en ciré jaune. Pour les fantasmes de Bibi, on repassera.
En dehors de l'aspect visuel (parce que je ne suis pas qu'une créature habitée par des instincts primitifs, un peu de tenue que diable), j'aime ce côté héros-au-service-de-la-nation, je trouve ça beau et noble. Je crois avoir pleuré de joie lors de sauvetages à succès de chatons et de mamies en détresse quand je regardais l'émission "Pompiers : leur vie en direct" (oui, c'est arrivé, mais pour ma défense, ce fut à une période de mon existence où ma vie sociale était inexistante).
D'ailleurs, étrangement, quand c'est la sirène des pompiers qui résonne dans le noir de la nuit et qui me tire de mon sommeil profond, je suis sacrément plus tolérante que quand ce sont les étudiants de ma résidence qui rentrent beurrés comme des tartines à trois heures du matin. Il faut dire que j'ai le ronchonnement nocturne très sélectif.
Le hasard faisant bien les choses, mon appartement et mon bureau sont localisés à côté de centres de secours. Mon extase est donc quasi-quotidienne quand je les entends débouler au loin. Leurs camions, c'est un peu comme les gros tracteurs, ça provoque en moi une certaine fascination.
Un beau jour, alors que j'étais plongée dans un dossier professionnel, je vis mon Outlook s'affoler et m'annoncer la réception d'une nouvelle missive. Quand on se récupère des dizaines de mails par jour, on a l’œil affûté avec l'expérience, et on sait jauger de suite l'importance du nouveau message. Là, en survolant la notification du regard, je relevai les termes suivants : "Don du Sang", "Caserne des pompiers", "Voter OUI/NON". Ni une, ni deux, j'ai cliqué et re-cliqué sur oui, déjà toute fébrile à l'idée de mettre les pieds dans ce temple si proche et pourtant jusqu'alors inaccessible.
Pour le côté sérieux de la chose, sachez que dès mes dix-huit ans, je me suis lancée dans la grande aventure du Don du sang, mue par un altruisme indéfectible et la perspective de me gaver de pains au chocolat sans culpabilité et sans débourser un centime. J'ai donné mon hémoglobine moult fois, et ai également tenté le don de plasma, toujours avide de nouvelles expériences. Durant mon long séjour à l'étranger, j'avais mis cette démarche de côté, mais c'était là une belle opportunité pour m'y remettre.
Il s'agissait donc là de joindre l'utile à l'agréable, d'autant plus que j'y allais avec des collègues (filles, forcément, allez savoir pourquoi...), et que l'une d'entre elles (ayant un camarade travaillant sur les lieux lieux) m'avait annoncé que nous pourrions visiter les locaux du SDIS (Service Départemental d'Incendie et de Secours pour les novices) après le don. Ô joie.
C'est sans appréhension aucune que j'ai franchi le portail de la caserne. J'ai répondu aux questions de façon automatique : oui j'ai déjà donné mon sang, oui je vous confirme que je fais le poids minimum requis (et même avec du rab si vous voulez), oui je pète la forme et non, Docteur, je vous assure, je n'ai jamais eu de rapports sexuels en échange d'argent ou de drogue. Accessoirement, je ne suis pas certaine qu'il était justifié de faire envoyer mon précieux liquide en test pour le paludisme sous prétexte que j'avais séjourné en Corée du Sud. J'ai eu beau certifier qu'à Séoul en février il fait - 15 °C, et que le nombre de centimètres carrés de mon épiderme exposés aux moustiques était proche de 0 à ce moment là, j'ai quand même eu droit à une petite pastille "Test Palu" sur ma fiche de donneuse. Fichtre, ça ne rigolait pas.
Vint le grand moment de passer en salle de don. C'est en fière conquérante que je suis allée dire bonjour à l'infirmière qui allait s'occuper de mon cas : je me suis installée sur mon siège, pas angoissée pour un sou, même à la vue du pieu qui faisait office d'aiguille pour le prélèvement. Bon, je fais la maline, mais je ne regarde jamais quand on me pique et quand la poche se remplit, parce que ça me rend toujours un peu chose.
C'est là que les choses se sont gâtées. Dès les premières minutes, je me suis sentie faiblarde, mais comme ça m'arrive parfois dans ce genre de situation, je n'ai pas jugé utile de le mentionner. Je me suis juste bien calée dans mon siège, et me suis détendue.
Ah pour être détendue, j'étais détendue. La suite est plus floue mais j'ai souvenance d'une voix au loin qui s'est affolée : "Appelez le médecin, elle part en convulsions !". Deux gifles sur le faciès plus tard, j'ai ouvert les yeux en sursaut, un peu sonnée, me demandant où mon esprit avait bien pu se carapater. Ma collègue en face avait l'air traumatisée de m'avoir vu littéralement tourner de l’œil sous ses mirettes ébahies.
Le siège fut rapidement converti en couchette, et je me suis retrouvée avec les jambes surélevées. Je crois que c'est à cet instant que je me suis dit que la jupe courte pour ce genre d'événement, c'était peut-être pas l'idée du siècle. On m'a forcée à manger une infecte pâte de fruits, malgré mes supplications pour avoir du camembert ou des rillettes. L'aiguille fut retirée en vitesse de mon avant-bras, et il fut décrété que j'allais devoir attendre un peu avant de retourner bosser. Heureusement, mon cerveau s'est vite remis à fonctionner normalement. Je m'en suis rendu compte quand je suis tombée en admiration devant un bellâtre brun qui passait par là pour changer son pansement.
Dans l'histoire, non seulement je n'ai pas pu donner mon sang mais EN PLUS j'ai loupé la visite du centre de secours. Déception, déception. Le seul point positif, c'est que, terrifiés à l'idée que je leur claque entre les pattes, mes collègues se sont dévoués pour aller récupérer mes documents à l'imprimante l'après-midi qui a suivi.
Bon sinon, allez donner votre sang si vous le pouvez, c'est un beau geste et ça peut sauver des vies.
Moi, je crois que je vais attendre un peu.
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