Le miracle du jogging

J'ai pendant près de trente ans eu un rapport assez houleux avec le sport, mon niveau d'activité physique se rapprochant à s'y méprendre à celui de la noix de Saint-Jacques. Je revendiquais mon statut de larve avec force, de façon exagérée parfois, pour que le monde arrête de me sortir des inepties telles que "Il faudrait que tu fasses un peu d'exercice quand même, ça ne te ferait pas de mal." Oh, il y avait bien cette époque où tous les ans, à partir du mois d’octobre, je me mettais à fréquenter de manière assidue la salle de gym et à adopter un régime strict, mais pour une raison bien superficielle, puisqu'il s'agissait seulement de pouvoir rentrer dans ma robe en 36 pour la soirée de Noël de mon entreprise. Le lendemain, les éphémères bonnes résolutions étaient jetées à la benne, pour mieux revenir l’année suivante.

Quant à courir, il ne fallait même pas m’en causer. Ce terme était pour moi synonyme de souffrance ultime. On blâmera les infâmes épreuves de courses bloquées de la primaire durant lesquelles nous étions poussés par nos chers enseignants à faire encore et encore le tour du stade (où soit dit en passant, j’arrivais toujours dernière) avec pour seule récompense un tube de crème de marron immonde. Ou peut-être les fois où, mon bus arrivant au loin, je me mettais à sprinter comme si j’étais poursuivie par le diable pour atteindre à temps la porte du véhicule, le teint pourpre, à peine pourvue du souffle nécessaire pour balbutier un « merci » au chauffeur pour m’avoir gentiment attendue ?

En arrivant dans mon Anjou d'adoption, je devais partir de zéro, recommencer une vie, et comme chacun sait, débarquer dans un bled où l’on ne connait personne, ce n’est jamais évident. J’ai donc dû me faire violence pour ne pas me laisser aller à greffer mon arrière-train au canapé et à me morfondre sur ma triste solitude tout en vidant le pot de glace de Haagen Dasz (caramel et crème de Spéculoos s'il vous plait). Il fallait que je sorte.

Un beau jour, dans un élan d’espoir et de positivité, je m’en suis allée faire le tour du lac du coin, lieu réputé pour servir de terrain de courses pour les amateurs du genre. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que j’avais mis le pied dans un vivier de beaux jeunes hommes entre 28 et 35 ans. Ce fut la grande révélation : j'avais trouvé ma motivation. Moi aussi j'allais courir. Croyez-vous qu'ils auraient pensé à ça, mes profs d'EPS ? A l'évidence, non.

Je suis donc partie en croisade à Décathlon pour investir dans le matos nécessaire à la chose, tout en limitant le budget, car à ce moment-là je n'étais pas encore bien certaine que ma résolution tiendrait dans le temps. Et un samedi matin, je me suis lancée. J'ai trottiné autour du lac, un pied après l'autre, en me concentrant sur le rythme de ma musique. 

Ce que j'ai eu honte. 

Honte de me sentir boudinée dans ma tenue pas seyante pour deux sous.

Honte d'avancer à deux à l'heure et de me faire dépasser par tout le monde.

Honte de souffler comme un cochon asthmatique et d'être toute rougeaude.

Honte de croiser des filles si bien faites j'en étais à me demander où j'étais quand le Bon Dieu a distribué de pareils corps.

Et puis au bout de vingt minutes, j'ai constaté avec grand étonnement que :

- J'étais toujours en vie. Gaussez-vous, mais moi j'avais prévu le petit post-it avec les numéros d'urgence à contacter si je passais l'arme à gauche dans le milieu des pâtures ;

- Que tout le monde s'en foutait de ce que à quoi je ressemblais quand je courais, parce qu'on a TOUS le sex-appeal au ras-des-pâquerettes quand on court ;

- C'en était même agréable.

Certes, j'ai parfois dû m'arrêter, puis repartir, ce n'était pas parfait, mais j'ai tenu bon, et franchement, quelle fierté de rentrer chez soi une heure après en se disant : je l'ai fait ! La morale de l'histoire ? Il ne faut douter de rien dans la vie, car tout peut arriver.  

Alors oui, j'entends déjà les rabat-joie de service :
"C'est pas le tout de le faire une fois ma cocotte, faut y aller régulièrement sinon ça sert à rien." 
Figurez-vous que motivée par cette victoire personnelle, j'ai continué sur ma lancée, et que maintenant, j'y vais plusieurs fois par semaine, non plus pour la discipline  mais POUR LE PLAISIR. 

Voilà.

Et maintenant vous allez tous avoir Herbert Léonard dans la tête. 

Non non, ne me remerciez pas.

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